Je sors de chez moi, il est 9:00.
Déjà dehors, je suis pressée, je marche vite de chez moi à l'arrêt de bus... 10 minutes, je passe devant les petits commerces, le grand centre commercial, il fait très beau ces derniers temps, l'été en France.
Je prends le bus 285.
Tous les matins, je lis assise dans ce bus, ma trousse bleue remplie de biberons sur les genoux, ma récolte de la veille.
40 minutes. Je rêve parfois au dernier jour où je ferai ce trajet, je regarde le paysage défiler, les vieillards monter et descendre.
J'arrive à la petite boulangerie du RDC de l'hôpital, je prends mon lait de soja parfumé comme toujours et j'attends l'heure, je trépigne.
Il y a des gens qui n'aiment pas la routine, moi, ça me rassure.
Je monte au 5ème...
J'arrive devant la porte du NICU (Neonatal Intensive Care Unit), il est 10:00.
Je sonne: " Bonjour, c'est moi Sophia ". La porte s'ouvre.
Je me lave frénétiquement les mains, mon coeur bat plus vite, j'enfile ma blouse bleue.
Je salue les infirmières, je rentre dans la petite pièce, notre pièce, notre rencontre quotidienne.
Tu arrives enroulé dans la petite couverture, porté par l'infirmière.
" Bonjour Camille, c'est maman. (à l'infirmière) Comment va-t-il aujourd'hui? "
Tu es tout endormi et elle te tend vers moi.
Ta tête plonge dans mon cou et rebondit sur mes seins, tu pousses un tout petit cri.
Tu es tellement beau que j'ai envie de te manger, je te serre.
Je sens ta petite tête, un doux parfum de bébé au lait s'en dégage.
Ton petit pied sort tout tendu de la couverture, tu ronchonnes... on dirait ton papa au réveil.
Le monde peut s'arrêter maintenant.
45 minutes, l'infini.
La petite pièce, l'univers.
" Quand il est né je voulais retomber enceinte tout de suite.
Je voulais le refaire à nouveau, lui, le même.
Je voulais l'avoir en double, en triple, collectionner ses clones, accoucher de lui dans un présent éternel."
Marie Darrieussecq, Le bébé.